Paradis Conjugal - [Alice Ferney], le décryptage alambiqué du couple à travers le cinéma




J'ai découvert Alice Ferney avec son incroyable livre Les autres, que j'avais dévoré il y a au moins 10 ans et qui m'avait littéralement faite tomber amoureuse de la prose de cette auteure trop peu citée, trop peu connue, de son incroyable capacité à disséquer les relations familiales et amoureuses. Depuis, j'ai adoré La conversation amoureuse et Cherchez la femme, où le couple et la famille sont encore mis à l'honneur.
Dans Paradis Conjugal, on ne change pas de thème et c'est tant mieux. Verdict.

Pourquoi perd-on l'amour de sa vie ? Pourquoi le doute l'a-t-il si souvent habité ? Quels regrets, quels remords en conçoivent les amants ? Où mène le lien amoureux ? 
Dans une famille dont le mari s'est absenté, une femme et ses enfants, attendant son retour incertain, regardent un film, Chaînes conjugales, qui met en scène ces énigmes. La vie et la fiction se répondent. Dans un face à face avec les personnages du film, ceux du roman partagent aventures et mésaventures sentimentales.

L'incroyable originalité de cette œuvre, c'est sa mise en abyme sur 350 pages. En effet, Elsa Pratte, l'héroïne du livre, regarde un film en boucle depuis des mois. Chaque soir, elle tente de décrypter le couple - son couple - en visionnant le même DVD (du coup, Alexandre, son mari, ne rentre pas ce soir car il se sent délaissé et il a bien raison). 
Ce film, c'est Chaînes conjugales, qui a été réalisé en 1949 par Joseph L. Mankiewicz et dont je n'avais strictement jamais entendu parler. C'est l'histoire croisée de trois amies américaines, bourgeoises et mariées, qui s'inquiètent toutes pour la même raison: elles ont reçu ensemble une lettre d'une certaine Addie Ross, leur annonçant qu'un de leurs maris était parti avec elle. Deborah, Rita ou Lora Mae: qui a été trompée, qui va finir seule?  Honnêtement, le suspense m'a vraiment tenue en haleine et m'a permis de m'accrocher, malgré le texte difficile de l'auteure. Peut-être qu'un cinéphile aurait été blasé par cet essai (réussi à mon sens) de "rentrer" complètement dans un film, de le raconter à travers les yeux d'une femme délaissée et d'en décrypter chaque scène clé avec minutie et finesse.
Les jours sans désir ne sont pas toujours des jours sans amour.
On a: Déborah et Brad, jeune couple amoureux (mais Brad est sorti avec Addie dans le passé...), Rita et Georges (couple solide mais déséquilibré car c'est Rita qui ramène l'argent à la maison, en plus Georges est très ami avec Addie...) et enfin Lora Mae et Porter (couple atypique car ils ne semblent pas s'aimer, et Porter a été très amoureux de Addie dans le passé...). Vous l'aurez compris, Addie est LA femme: fatale, séductrice, tentatrice... celle qui fait flipper toutes les femmes alentour et tourner la tête des hommes. Fait notable dans le récit: on évoque Addie tout le temps, mais on ne la voit jamais à l'écran. Elle n'est qu'une ombre, qu'une épée de Damoclès au-dessus de toutes les têtes. En définitive, chaque couple, via un puissant flash-back proposé par le réalisateur, nous propose un épisode clé de sa relation, démontrant ainsi ses failles et laissant donc supposer qu'il peut être celui qui explosera à la fin du film... 
Tu préférerais être veuve ou être divorcée ? demande Max qui n'écoute plus. Il réfléchit et reformule sa question : Tu préférerais que papa meure ou qu'il te quitte ? Je préférerais que papa m'aime !
Alors, warning, c'est très long à se mettre en place, j'ai clairement dû m'accrocher le premier quart. Mais une fois qu'on saisit le rythme du livre (des retours réguliers à la réalité, dépeignant Elsa et ses deux aînés regardant ensemble le film), une fois qu'on a saisi qui étaient les protagonistes du film et leurs relations, cela devient vraiment addictif.
Alice Ferney peut passer trois pages à décrypter une seule scène. Voire largement plus quand j'y réfléchis bien. On aime ou on est vite soulé. Le style est souvent très poussif. Elle utilise un vocabulaire riche, des tournures de phrases complexes, elle détaille tout. Ce livre ne me semble clairement pas à la portée de tout le monde (ceux qui n'aiment pas se prendre la tête, comme on dit souvent, fuyez!)
 Quand on n'aime pas la vie, on va au cinéma. Est-ce que le lien à la création d'art n'a pas à voir avec la difficulté d'être ? Comme si la vie avait besoin d'un écho, d'un ensemble architecturé de miroirs qui nous la révèle et nous l'éclaircisse.
Parfois, je me délectais de l'analyse fine du comportement (typiquement) féminin ou (typiquement) masculin, de l'analyse d'une dispute, d'un regard, d'un refus, d'un baiser... parfois j'avais envie d'avancer dans l'histoire, trop pressée d'en connaître le dénouement (du film ET de l'histoire d'ailleurs, vous suivez?).
Mais, pour une fois, je n'ai jamais lu en diagonale, convaincue de l'intérêt de chaque ligne pour comprendre chaque subtilité de de chaque personnage. Ferney est passée maître dans l'art de parler de la soumission dans le couple, de la séduction. Le livre entier est une gigantesque introspection d'Elsa. On dit Bravo ou on se barre en courant.
C'est un chef d’œuvre. mais au-delà, je voudrais comprendre l'effet du cinéma. Par quel canal, par quel mécanisme intérieur, un film peut agir sur mon humeur, me réjouir l'esprit, me mettre à l'aise avec la vie. Tout d'un coup j'ai le moral, je me sens heureuse. Alors que rien n'a changé dans la vie réelle !
Je me suis pour ma part beaucoup identifiée à Elsa, notamment dans son immersion dans le cinéma (la bulle cinématographique est parfaitement décrite par Ferney) qui lui permet de s'immerger dans ses pensées, ses souvenirs, ses doutes... Je suis complètement comme ça: chaque livre et chaque film peut me hanter longtemps, me faire pleurer beaucoup, me faire chavirer, changer radicalement de point de vue, etc. 

Je me répétais souvent au fil de ma lecture: j'aimerai tant que ce film soit adapté au cinéma (mais dans la réalité, vous suivez toujours?). Et quand j'ai terminé ma lecture, Google-my-best-friend m'a appris que LE FILM EXISTAIT bel et bien. Ouais, j'en savais rien et je n'ai pas été fichue de faire cette recherche avant ou pendant ma lecture.

Le dénouement du film est juste, crédible et passionnant. (Je DOIS le voir). En revanche, le dénouement du livre l'est moins à mon sens. J'ai trouvé cela très expéditif comparativement au traitement des trois couples du film. Dommage.

On peut emmêler sa vie a des œuvres. Ce que l'on vit rencontre ce que l'on regarde, ou ce qu'on lit vient s'entrelacer dans la trame des perceptions réelles

Ce n'est pas mon Ferney préféré; je suis très partagée à l'idée de lui mettre des étoiles. Paradis Conjugal possède indéniablement et objectivement des qualités de fond et de forme, mais il est difficile à lire. On peut reprocher à l'auteure de sodomiser les mouches (pardonnez-moi l'expression), d'être trop dans l'analyse au détriment de l'avancée de "l'action". A ne pas lire tard le soir avec les yeux qui piquent!

Mes p'tites étoiles: 

 Mais, tout cela n'est que mon humble avis!


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