L'audience - [Oriane JEANCOURT GALIGNANI] ou comment vivre une expérience de juré à travers un livre


Albin Michel, 304 pages, 2014 (existe aussi en poche)




Glané au hasard de mes pérégrinations livresques à Emmaus pour 0,50€, l'Audience a été dévorée en quelques soirs, verdict.

Nous sommes dans la ville de K. Au Texas. Debbie Aunus, professeure de mathématiques sans histoire dans un lycée, est jugée pour avoir entretenu des relations sexuelles avec quatre de ses élèves, tous majeurs au moment des faits et surtout, consentants. Elle est mariée à un militaire souvent absent, maman de trois enfants et dans le genre, plutôt mystérieuse. 5 hommes et 7 femmes vont devoir la juger et décider si oui ou non cette jeune trentenaire mérite 5 ans de prison ferme...
Les membres du jury pourront apprécier d’eux-mêmes, l’exhibitionnisme de Mme Aunus, j’ai imprimé son mur Facebook et son historique, il s’agit de ma première pièce à conviction.

Le parti pris de l'auteure: pas de parti pris! 

L'histoire fait référence à l'affaire de Brittni Colleps, qui a secoué l'Amérique en 2012. Ce genre de faits divers me passionne, par voyeurisme malsain que j'assume (du c...! du c...!), mais surtout parce que ce genre de scandale sociétal me scandalise.
Oriane Jeancourt Galignani a fait exactement ce que j'attendais de ce genre d'ouvrage qui traite de polémique: elle expose les faits, de façon chronologique, mais à aucun moment ne juge. Ici, deux grandes "écoles" s'opposent: le puritanisme face à la liberté sexuelle. L'auteure ne prend aucun parti; c'est au lecteur, une fois le livre refermé, de se faire sa propre opinion. C'est exactement ce qu'il fallait faire.

L'audience vs. les faits

Nous suivons donc assez mécaniquement et impassiblement l'audience (le livre est partagé en quatre grandes parties reprenant les quatre jours d'audience). Les faits sont évoqués, discutés, questionnés par les multiples acteurs du tribunal: le juge, visiblement intimement lié à la procureure, l'avocat de la défense, personnage pédant, les témoins (le mari et la mère de Debbie), les "victimes" et l'accusée, Debbie. 
Parallèlement à toute cette mécanique judiciaire que l'on suit de façon assez pédagogique, les faits sont exposés dans des chapitres qui s'intercalent habilement, nous faisant le récit de ce qui s'est passé entre Debbie et ses élèves, évoquant son mariage et sa vie d'adolescente. Des indices peuvent être glanés ici et là sur ce qui l'a poussée à entretenir des relations sexuelles avec ses étudiants... Je vous en laisse la découverte, bien que rien ne soit réellement prégnant et révélateur.
Debbie reconnaît autour d'elle le souffle de l'opprobre. "Le bruit de mai", l'appelle-t-elle depuis l'année précédente, depuis que les chuchotements se sont installés dans sa vie.
Il y a donc les faits tels que présentés par la justice et les faits tels qu'ils se sont "réellement" passés. 
Et ce qui est accablant, bien évidemment, c'est que les quatre "victimes" ne nieront jamais les faits et surtout, ne nieront pas leur consentement. Ce "jeu" entre un élève, puis deux, puis trois, puis quatre, n'était qu'un jeu entre adultes consentants, majeurs et vaccinés. Le seul tort objectif de Debbie est finalement d'avoir trompé son mari et d'avoir été la professeure de ces jeunes garçons. Mais déjà, vous constatez que je ne peux m'empêcher de "juger" et de donner mon avis... Peut-être que des lecteurs, plutôt puritains et conservateurs, estimeront que les jeux sexuels entre adultes, le sexe multiple, se doit être sévèrement réprimandé. 
En tout état de cause, on a vraiment l'impression que Debbie est jetée en pâture aux lions, que toute sa vie sexuelle est révélée (et montrée!) au grand public lors du procès, et pour le coup, c'est révoltant, cette chaste assemblé qui se veut pour autant très voyeuse... 

Un personnage principal plus qu'intriguant

Debbie va rester muette durant tout le procès en invoquant le 5ème amendement de la Constitution américaine. Elle n'a donc pas le droit de prendre la parole. Mais qui est ce personnage? Les jurés vont nécessairement la considérer comme froide et manipulatrice, n'exprimant aucun regret et ne cherchant pas à se défendre. Ce qui est certain, c'est qu'il est difficile de s'identifier à elle, tant elle demeure mystérieuse. A aucun moment, l'auteure ne nous propose de découvrir les "bons côtés" de cette jeune femme, qui à aucun moment n'apparait comme quelqu'un d'appréciable. Pour autant, cela n'en fait pas une criminelle ou une folle... Oriane Jeancourt Galignani se garde bien d'aiguiller notre propre jugement... Et c'est parfois très frustrant ! On aimerait être mis sur la voie: certes cette femme est très libérée sexuellement, pratique des jeux et le sexe multiple, mais c'est son droit. A côté, qui est-elle? Epouse aimante ? Maman bienveillante ? Professeure respectée ? Tout cela est à peine mis en avant. C'est souvent très ambigu ou peu détaillé. Seuls les faits pour lesquels elle est incriminée et pour lesquels le lecteur lit ce livre sont mis en avant. Rien d'autre ne compte. 

Un style brut de décoffrage pour une histoire des plus sordides

Oriane Jeancourt Galignani (c'est long à écrire pfiou) a une plume magnifique. Son style correspondant parfaitement à l'histoire: c'est brut, c'est honnête, c'est souvent froid. J'ai vraiment apprécié.
C'est aussi très cru (les scènes de sexe sont explicites).  Les scènes d'audience sont quant à elles très précises dans leur déroulé et j'ai trouvé cela passionnant (ancienne élève de licence de droit haha).
Ils ignoraient qu'il n'y a pas d'infini dans la joie. Que le plaisir peut disparaître d'être poursuivi. Comme ces somptueux visages d'actrices qui, à force d'être remodelés par le scalpel, finissent grotesques. Leur bonheur avait la tête de Mélanie Griffith avant réfection ; trop beau pour durer.
Ce livre dénonce avec froideur et talent une vérité vraie qui pollue encore les États-Unis, à la fois pays extrêmement puritain et plus gros consommateur de pornographie... Assimiler les faits reprochés à Debbie à un viol est terrifiant. Debbie est-elle coupable ou victime des traditions chastes et hypocrites de l'Amérique? Peut-on être victime ET consentant? Ce livre m'a permis d'en juger (même si j'avais déjà une opinion, ce qui m'a fait acheter ce livre), librement et sans aucune influence de la part de l'auteure. 
Debbie sera-t-elle jugée coupable? Si oui, fera-t-elle de la prison? Précipitez-vous si ce sujet vous intéresse!

L'Audience est à la fois un drame psychologique et judiciaire; on y découvre les rouages de cette immense machine à "penser" qu'est la justice américaine, ainsi que les valeurs qu'elle défend et qu'elle véhicule. On y découvre également la pollution médiatique et son influence sur les gens. Un livre a dévorer tant le suspense est présent et l'histoire passionnante, si tant est que ce genre de faits divers vous intéresse. A découvrir !

Mes p'tites étoiles: 


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