L'attentat - [Yasmina KHADRA] ou comment mettre la prose au service d'une descente aux enfers

 

J'entendais parler de Khadra depuis des années. Je culpabilisais presque de ne l'avoir jamais approché, tant les thèmes qu'ils soulevaient (conflits au Moyen-Orient, terrorisme, etc.) me soulevaient le cœur. 
Et puis, tout de même, je me suis dit que L'Attentat avait un pitch passionnant et d'actualité, que je pouvais bien sortir de ma zone de confort et me confronter au réel, au vrai de vrai. Et puis moins de 300 pages, c'est facile d'en sortir, tout de même. Verdict.

On est à Tel-Aviv. Amine est un israélien d'origine arabe, fort bien intégré puisqu'il travaille en tant que chirurgien à l'hôpital, où il est reconnu par la plupart de ses pairs et de ses patients. Son "immigration" est plutôt réussie, donc. Et puis, il est marié à Sihem, d'origine palestinienne elle aussi. Leur mariage semble très heureux. Mais soudain, tout change. Amine apprend que sa bien-aimée s'est faite exploser dans un restaurant bondé de Tel-Aviv. Commence alors les questionnements: qui était-elle? Comment a-t-il pu ne rien voir? Pourquoi commettre un acte si cruel? Puis vient l'enquête, à travers la Palestine et les fiefs des terroristes...
Je me sens patraque, halluciné, dévitalisé. Ne suis qu’un énorme chagrin recroquevillé sous une chape de plomb, incapable de dire si j’ai conscience du malheur qui me frappe ou bien s’il m’a déjà anéanti.
Ce qui saute aux yeux dès les premières lignes, c'est tout simplement la SUBLIMISSIME plume de Yasmina Khadra. Je ne m'attendais pas du tout à cela (allez savoir pourquoi,  hein, les a priori...). Chaque mot, chaque phrase, chaque métaphore est juste, travaillé, résonnant.  Tout fait écho. Même  le plus petit rien. Sa prose est incroyable.
Je veux juste comprendre comment la femme de ma vie m'a exclu de la sienne, comment celle que j'aimais comme un fou a été plus sensible au prêche des autres plutôt qu'à mes poèmes.
Et en même temps, l'action, l'enquête, les interactions suivent leur cours. Khadra parvient à nous faire éprouver une empathie très profonde pour Amine, dévasté, qui doit affronter la mort de sa femme, puis les secrets qui l'entoure. On est éperdu avec cet homme, on est en deuil avec lui, on morfle avec lui.  Et on le suit dans sa sordide aventure palestinienne, puisqu'il se décide à franchir le mur séparant l'Israël et la Palestine, mur qu'il a ignoré depuis trop longtemps, reniant presque sa patrie et sa famille pour vivre sa jolie vie d'immigré. 
Et il est clair qu'il va en prendre plein la g...., au propre et au figuré. Nous sommes témoins d'une véritable descente aux Enfers.

Yasmina Khadra donne un parti pris très intéressant à son personnage, que j'ai trouvé pertinent. En effet, Amine est chirurgien. Il s'engage à sauver des vies, à repousser à tout prix la mort. Cela va grandement contribuer à son incompréhension face aux militants, qui pour leur cause ôtent la vie délibérément à des innocents.
Ma vocation se situe du côté de ce qui sauve et non de ce qui tue.
La  vie d'un homme vaut beaucoup plus qu'un sacrifice, aussi suprême soit-il.
J'ai de très loin préféré le premier tiers, qui touche à l'attentat en lui-même, puis au chagrin et à l'incompréhension d'Amine, qui se sent trahi par celle qu'il aimait. Vient ensuite le temps des péripéties palestiniennes, qui m'ont certainement moins plu parce que plus terre à terre, plus dans le feu d'une action qui m'intéressait moins (et ouais, moi c'est la psychologie mon dada). Et puis clairement, je dois l'admettre, le sujet traité ne m'enthousiasme pas plus que ça...
Ensuite, une fois ce "voyage" initiatique terminé, le livre m'a de nouveau captivée, puisque Amine doit tirer des leçons de tout ça, réfléchir au geste de sa femme avec tout ce qu'il a appris en quelques jours, sur elle, sur lui, sur son peuple.
On peut tout te prendre; tes biens, tes plus belles années, l'ensemble de tes joies, et l'ensemble de tes mérites, jusqu'à ta dernière chemise- il te restera toujours tes rêves pour réinventer le monde que l'on t'a confisqué.
Que ce soit dans son fond (terrorisme, humiliation des Palestiniens) ou sa forme (une prose absolument magnifique), ce roman mérite tous les éloges qu'il a reçus, ainsi que les nombreux prix littéraires qu'il a obtenus. Même si ce n'est pas (du tout) le genre de lecture que je prise, je dois reconnaître la grande qualité littéraire de ce livre. Il résonne d'autant plus qu'il n'a jamais été aussi tristement actuel... Malgré tout et paradoxalement, ce n'est pas une lecture qui m'aura personnellement enthousiasmée plus que ça (j'ai mis du temps à le terminer...).

Mes p'tites étoiles:


Mais, tout cela n'est que mon humble avis.
Mes larmes ont peut-être noyé mon chagrin, mais la colère est toujours là, telle une tumeur enfouie au tréfonds de moi, ou un monstre abyssal tapi dans les ténèbres de son repaire, guettant le moment propice de remonter à la surface terrifier son monde. 
  • Ce livre fait partie d'une trilogie regroupant Les Hirondelles de Kaboul (sur l'Afghanistan) et Les Sirènes de Bagdad (sur l'Irak) dans laquelle Yasmina Khadra tente d'expliquer l'incompréhension grandissante qui s'est creusée entre l'Orient et l'Occident.
  • Le livre a été adapté en film en 2013 par Ziad Doueiri. 
  • C'est Mohammed Moulesshoul qui se cache derrière le pseudo Yasmina Khadra, pseudo composé par les deux prénoms de son épouse.  C'est rare, un auteur qui se cache derrière un prénom de femme !

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