Réparer les vivants [Katell Quillévéré ] ou comment transcender un livre à l'écran



Les 6 ou 7 lecteurs qui me suivent assidûment savent que j'ai terminé il y a peu l'éprouvante lecture du livre de Maelys de Kerangal: Réparer les vivants. Comme souvent, la maso que je suis aime bien achever la lecture d'un bouquin par le visionnage de l'adaptation ciné lorsqu'il y en a une et qu'elle ne semble pas trop mauvaise. 
J'ai donc enfilé mon costume préféré du plaid/pilou/plateau hier soir et regardé les yeux humides le film délicat de Katell Quillévéré

 Petit rappel du pitch pour ceux qui oseraient ne pas lire le livre. Simon Limbres a perdu la vie dans un accident de camionnette. Il est en état de mort encéphalique à l'arrivée de sa mère, puis de son père. Les médecins évoquent donc un potentiel don d'organes...

 

Une adaptation fidèle

Le film est d'une grande simplicité. Pas de violons, pas de larmes inutiles, pas de grands débats, pas de démonstrations de sentiments factices. Il est sobre, bien qu'emporté régulièrement par des mélodies au piano absolument magnifiques et pour le coup, très larmoyantes pour ma part.Oh tiens, je viens de réaliser que c'était Alexandre Desplat qui avait composé. CQFD.
J'aurai tendance à dire qu'il est très fidèle au roman dans les faits: la passion de Simon pour le surf, sa relation que l'on devine tendue avec Juliette, l'accident de la camionnette, la boulette de l'infirmière, le parcours du cœur... bref tout y est. Et ce qui est bien, c'est qu'on va à l'essentiel. On a souvent tendance à reprocher aux films d'être "moins biens que le livre", "de ne pas pousser la psychologie des personnages", mais HEY, les gars, c'est pas un peu normal? Le mode de narration n'est pas le même. Il y a les images et il y a l'écrit. Et l'écrit autorise tout alors que le film ne peut que montrer et suggérer. En cela, je trouve que Katell Ouillévéréré s'en sort très honorablement. 
Les scènes de surf du début sont incroyablement poétiques. On dirait que le jeune homme surfe dans les airs, surfe sur sa raison de vivre. C'est quasi onirique, et puis vient l'accident, et puis vient le décès. Et la réalité prend toute la place.  


Une fois que Claire fait son apparition avec ses fils, on n'évoque plus les parents de Simon. Leur page est tournée; c'est celle de la malade qui va vivre qui nous intéresse désormais. Seul le cœur compte. Il est vraiment un personnage à part entière (scène magique où il se remet à battre dans le corps de Claire...)

Quelques libertés d'adaptation pertinentes

J'ai trouvé très pertinent que la vie de Claire (qui va recevoir le cœur) soit étoffée. Dans le livre il n'était question que d'elle, la quinquagénaire courageuse, et de ses deux fils, très aimants. C'était déjà un très joli personnage à mon sens. 
Là, la réalisatrice prend le parti ne nous en dévoiler un peu plus et j'ai trouvé cela encore plus fort. On apprend en effet que Claire est homosexuelle et a eu une relation avec une grande pianiste Anne Guérande (Alice Taglioni). Les deux femmes se sont quittées à cause de la maladie, mais l'amour est encore là, l'amour est encore fort. Leurs retrouvailles sont tout simplement bouleversantes et m'ont arrachées quelques larmes (la scène de la voiture, Taglioni, renversante...). Bref, un choix osé et opportun.On ne verse jamais dans le pathos et pourtant, l'émotion est à son comble. On comprend que cette transplantation est vitale mais pas que pour la malade. Elle est vitale pour tous les autres autour, tous les vivants qui aiment et qui souffrent en écho.

Les acteurs au top de la douleur

Je ne suis pas fana des sœurs Seignier et encore moins de Mathilde. Mais je dois reconnaître qu'elle est douée, dans le rôle de la mère courage, qui pleure son fils tout en consolant son époux. Elle porte sur elle la tristesse, elle l'incarne, lui donne une vraie beauté. Et en même temps, elle ne se met pas en colère. Elle semble accepter dignement (encore plus que dans le livre) l'injustice de ce que la vie lui a réservée. J'aurai aimé que cela explose. J'aurai aimé voir une mère ravagée. Car comment ne pas l'être lorsque l'on perd un fils? C'est presque trop calme (j'aime pas trop beaucoup ça). 

Le père (Sean transformé en Vincent) est interprété par Kool Shen ((ou devrais-je tenter le "Kool Sean" oui, j'ai osé.) et... j'ai envie de dire "mouais". Il pleure bien. Il n'est pas mauvais, non, mais lorsqu'il s'énerve contre Thomas, le coordinateur de la transplantation, son côté rapeur est méchamment ressorti et ça a rompu le charme. Pourquoi les rappeurs se sentent-ils obliger de "grommeler" lorsqu'ils parlent? Heureusement qu'il tire bien son épingle du jeu le reste du temps.


J'ai beaucoup aimé Tahar Rahim dans le rôle de Thomas. Très juste, très émouvant (comme toujours, j'ai envie de dire). C'est lui, la petite touche "humaine" nécessaire pendant que la machinerie médicale de la transplantation se met en marche (ou plutôt entre dans une course folle contre la montre). C'est lui qui dit "STOP" aux chirurgiens pressés et qui réhumanise Simon une dernière fois en lui murmurant les mots d'amour de sa famille à l'oreille, alors que son corps est ouvert et livré au marché des greffes. C'est lui qui nettoie le corps du défunt avec respect et douceur, comme on nettoierait un vivant. Je l'ai trouvé tellement touchant, presque candide, lorsqu'il parle de son rêve de chardonneret à ses deux collègues qui sourient en coin. Bref, gros coup de cœur pour ce personnage, encore plus que dans le roman. Tahar Rahim l'interprète avec brio. 

Claire et sa famille sont touchants, les deux fils inquiets, aimants, paternels. Le film E.T. blottis les uns contre les autres. Les moments de complicité. L'inquiétude, toujours. Anne Dorval est d'une telle douceur... J'adore l'écouter parler, de sa voix tremblante et essoufflée, qui ne fait que murmurer tant son cœur est fragile. 


 Bref, un joli casting. Clap clap clap à Tahar Rahim en particulier.

Ce film s'avère donc aussi émouvant et "pédagogique" que le roman éponyme. Il est à voir. Pour se poser des questions, pour tenter de trouver des réponses. Ou tout simplement pour regarder une jolie histoire qu'on n'aurait pas eu le courage de lire avant.

Mes p'tites étoiles:

 Mais bien sûr, tout cela n'est que mon humble avis.


Hey, j'ignorais totalement, moi, que Réparer les vivants avait également été adapté au théâtre! Juste un Molière du "Meilleur seul en scène en 2017" tout de même.

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