Au revoir, là-haut - [Pierre Lemaître / Albert Dupontel] ou l'histoire d'un marathon



La guerre n’était rien d’autre qu’une immense loterie à balles réelles dans laquelle survivre quatre années tenait fondamentalement du miracle.

 Oh, la jolie affiche! Oh la bande-annonce étrange! Mais... mais... attends, le titre, ça me dit quelque chose... Nan mais merde, c'est le bouquin qui trône sur l'étagère des livres à lire au-dessus de mon lit depuis genre... plus de 6 mois... Ah mais oui, le prix Goncourt trouvé à 0,50 centimes en brocante... Il serait p'tet temps que je m'y mette, le film est en salle et JE VEUX le voir (en salle). Vas-y, pose ton Douglas Kennedy du moment et... c'est parti: mes vacances de Toussaint  se dérouleront sous les hospices du grand, du très grand Lemaître. 
Une semaine après l'avoir entamé, me voici en salle ce mardi après-midi (oui, je n'ai pas classe le mardi après-midi, bande de jaloux). Salle pleine de retraités, y a vraiment que moi pour mener la même vie qu'eux.

C'est l'histoire de deux rescapés de la première mondiale. Le premier, Albert, a failli mourir enseveli dans un trou d'obus. Le deuxième, Edouard, est défiguré par une explosion en sauvant la vie du premier. Leurs destins sont désormais liés et ils vont traverser ensemble la terrible période d'après-guerre, en montant notamment une escroquerie de très, très grande envergure. Parallèlement, il y a le lieutenant d'Aulnay-Pradelle, immonde salaud pendant la guerre et même après, qui va profiter de cette période troublée pour s'enrichir...
Pour le commerce, la guerre présente beaucoup d'avantages, même après. 


Le style à virgules de Lemaître


Pierre Lemaître est un grand conteur d'histoires. Je le connaissais grâce à quasiment tous ses polars (Alex est peut-être mon polar préféré, tout confondu...), et là, c'est clairement un autre écrivain que j'ai lu. Oui, tel un acteur capable de jouer parfaitement différents registres, Lemaître est un "écrivain de composition". Et le plus incroyable, c'est qu'il excelle dans les deux genres: polar ou roman historique, ce mec assure. Et puis c'est fin, c'est drôle, c'est sordide, c'est franc-parler et en même temps souvent très subtil... Et puis quel suspense! Bref, c'est un condensé de talent d'écriture.

Alors oui, c'est dense. Très dense. C'est une lecture facile en apparence, mais qui n'est, à mon avis, pas si aisée que ça. Des phrases très, très longues, l'utilisation massive de la virgule, qui permet à l'auteur de déblatérer un flot d'actions, de pensées, de dialogues... sans qu'on puisse souffler! Des portraits psychologiques extrêmement poussés, des allers-retours continuels entre passé et présent, des magouilles à tout va qu'il faut comprendre... Ce n'est pas la lecture plan-plan de fin de journée! Mais, bon sang, ce que c'était bon...!

Et puis, Lemaître s'adresse à nous. Les lecteurs. Il nous raconte vraiment son histoire. Il nous interpelle, revient à son récit. Et j'ai trouvé ça très pertinent. L'histoire est racontée à la troisième personne, ce qui permet le point de vue parfaitement (et génialement) omniscient du narrateur, mais cette distanciation est atténuée par ses petites digressions, ses interpellations. J'ai adoré. Ça colle parfaitement au contexte historique et rajoute un côté "personnage ordinaire" qui raconte une histoire.

En le tenant contre lui, Albert se dit que pendant toute la guerre, comme tout le monde, Edouard n’a pensé qu’à survivre, et à présent que la guerre est terminée et qu’il est vivant, voilà qu’il ne pense plus qu’à disparaître. Si même les survivants n’ont plus d’autre ambition que de mourir, quel gâchis…

Des personnages qu'on connaît sur le bout des doigts

Les personnages principaux (Albert et Edouard, les "gentils") sont très travaillés. Ils ont une histoire, un passé, des rêves... on sait tout d'eux. Pierre Lemaître nous livre des portraits de vie extrêmement détaillés. Ils ne sont pas parfaits, ça c'est sûr, et on s'y attache, on est avec eux tout du long. Leur incroyable plan pour se faire de l'argent, c'est ignoble mais on y croit, on veut qu'ils réussissent.  
Tout mon amour de lectrice allait à Albert, le cliché du type moyen, au physique moyen, à la vie moyenne, à l'intelligence moyenne, mais terriblement humain, prêt à tout pour son compagnon de fortune Edouard. J'ai souvent eu les larmes aux yeux (très sensible, vous dis-je!!!), en lisant ses mésaventures (l'achat des nouvelles chaussures ridicules... terrible passage!)

Ce n'était pas seulement la crainte de mourir, c'était l'idée de mourir maintenant. Mourir le dernier, se disait Albert, c'est comme mourir le premier, rien de plus con.

Il y a aussi Pradelle (le "méchant!"), qu'on adore détester, véritable ordure, hypocrite, arriviste, cruel... On se délecte de ses magouilles, de ses écarts conjugaux, de son antipathie... Et on se régale encore plus de sa déchéance (passage préféré: son épouse Madeleine qui le renvoie dans les clous lorsqu'il a le culot de lui demander de l'aide...). Il est odieux et c'est un méchant génial. 
Les autres personnages ne sont pas lésés par la frénésie de Lemaître: la sœur, la bonne, le père, l'inspecteur du ministère Merlin (haut en couleur, personnage que j'ai adoré!) les acolytes de Pradelle... on sait tout d'eux... Et c'est captivant. L'auteur les dépeint de façon tellement cohérente, on les aime, on les suit, on les voit évoluer. 

Vous saviez, vous, qu'il y avait eu autant de magouilleurs après la guerre?


Le contexte historique est original: le récit ne se déroule pas pendant mais après la première guerre mondiale.
Diable, enfin un peu d'originalité. Et puis, que sait-on réellement de cet après-guerre? Oui, le bilan humain et matériel était terrifiant, mais les années folles ont rapidement suivi, non? Et bien, Lemaître nous apporte des éléments qu'on ne soupçonnait peut-être pas... Les démobilisations qui prennent des mois, le manque d'argent de l'Etat pour payer les pensions des soldats, leur réinsertion très difficile, les profiteurs de guerre... C'était (peut-être naïvement) des choses auxquelles je ne m'étais jamais vraiment intéressées. Le devoir de mémoire, ça oui on connaît bien (j'écris ça avec une pointe d'ironie...). En attendant, les soldats ont été beaucoup trop mal considérés dans les années qui ont suivi l'armistice, pendant que d'autres s'en mettaient plein les poches.
Clairement, avec ce bouquin, j'ai été servie.
 Les démobilisés la ramenaient sans arrêt avec leur guerre, toujours à donner des leçons à tout le monde, on commençait à en avoir marre des héros ! Les vrais héros étaient morts ! Ceux-là, oui, pardon, des héros, des vrais !

En gros...


...prenez votre courage à deux mains, car il en faut quand même pour se lancer dans ce livre. Mais savourez. Attachez-vous à ces personnages que la guerre a brisé et à ces méchants que la guerre a enrichis. Apprenez des tas de choses (même si certaines sont fictives, faut pas pousser) sur les profiteurs, les magouilleurs... sur cette période trop méconnue à mon goût. Je n'ai qu'une chose à dire: ENFIN un Goncourt mérité...

Mes p'tites étoiles:

Et c'est pas fini! Le film, il est chouette, mais...

 

Ensuite, si vous n'êtes pas repus, vous pouvez vous rendre en salle pour voir le film d'Albert Dupontel
Je ne m'étalerai pas dessus, mais j'y suis allée très confiante (car excellentes critiques + Dupontel acteur + Dupontel réalisateur).
Mais je crois que j'ai fait une overdose d'Albert et Edouard, de monuments aux morts et de gueule cassée... J'y suis allée trop tôt. J'étais dans la comparaison quasi immédiate; le livre était encore tout frais dans ma tête car terminé à la hâte 3 jours plus tôt. La réalisation est superbe, rien à dire. Le choix des acteurs, parfait. Même si j'aurai aimé une gueule de vrai salaud pour Pradelle (Laurent Laffite je l'aime d'amour mais plutôt en comédie). 
Et puis... je n'ai pas aimé la fin. Dupontel, aidé par Lemaître, a pris quelques libertés et.... grrrr.... je suis une puriste réac' et chiante: je voulais exactement tout pareil que dans le livre. Alors, j'ai envie de dire juste un "mouais" (bien que la qualité du film soit dans l'ensemble indéniable!).




Mes p'tites étoiles:

Mais, ce n'est que mon humble avis.

Commentaires

Related Posts Plugin for WordPress, Blogger...